La généalogie génétique, outil extraordinaire pour retracer ses origines, s’est aussi imposée comme levier dans des enquêtes criminelles très médiatisées. Mais à quel prix ? Début 2025, MyHeritage a discrètement supprimé la possibilité de télécharger en masse les correspondances ADN et les segments partagés. Cette décision semble coïncider avec une affaire judiciaire retentissante aux États-Unis : le meurtre de quatre étudiants de l’université de l’Idaho en 2022.

Bryan Kohberger et l’ADN modifié pour MyHeritage

Dans cette affaire, les enquêteurs américains ont retrouvé un profil ADN masculin sur une gaine de couteau laissée sur la scène du crime. Faute de piste directe, le FBI a eu recours à la généalogie génétique d’investigation (IGG).

Mais plutôt que d’utiliser un service spécialisé comme GEDmatch, les agents ont manipulé le fichier ADN pour le convertir au format accepté par MyHeritage. Ce fichier, bien que lié à un suspect inconnu, a ainsi pu être intégré comme s’il s’agissait d’un simple utilisateur testant ses origines.

Selon une ordonnance judiciaire de février 2025, cette opération a été faite sans mandat judiciaire, sans informer MyHeritage et surtout sans le consentement des utilisateurs dont les données ont pu être croisées.

Impossible de télécharger les données ADN sur MyHeritage

MyHeritage refuse désormais le téléchargement de fichiers ADN d’autres laboratoires.

Violation du RGPD et des engagements contractuels

Pour les utilisateurs européens, cette méthode constitue une violation claire du Règlement Général sur la Protection des Données (RGPD). Ce dernier impose que toute utilisation des données personnelles à des fins policières se fasse avec un consentement explicite et éclairé.

MyHeritage est pourtant signataire des bonnes pratiques du Future of Privacy Forum, qui exigent transparence, limitation des usages secondaires, et respect du cadre juridique local. En introduisant un ADN « masqué » dans le système, les enquêteurs ont contourné tous ces principes.

Les données brutes restent téléchargeables… jusqu’à quand ?

De mai à août 2025, il était toujours possible pour un utilisateur ayant déjà un compte MyHeritage de télécharger un fichier de données brut ADN au format .zip ou .txt provenant d’un autre laboratoire. La suppression de cette dernière alternative en août 2025, indique bien que MyHeritage souhaite éviter tout conflit entre RGPD et détournement des fonctionnalités par le FBI, y compris dans la plus grande hypocrisie, au profit de la police française

MyHeritage autorise encore le téléchargement des données ADN si on dispose d'un compte MyHeritage.

MyHeritage a autorisé la possibilité de télécharger des données ADN provenant d’un autre laboratoire si vous disposez d’un compte MyHeritage, de mai à août 2025. Cette option a alors aussi été supprimée.

Un signal d’alarme pour l’Union européenne

L’affaire Kohberger dépasse la simple question de la généalogie. Elle révèle une faiblesse structurelle : même avec des règles européennes strictes, les données stockées hors UE peuvent être détournées, à l’insu des entreprises et des utilisateurs.

Ce constat concerne toutes les données personnelles : ADN, messages privés, données bancaires, données de santé, historiques de navigation. Si les plateformes étrangères ne peuvent pas faire respecter le RGPD, l’Union européenne doit revoir sa stratégie de souveraineté numérique.

La France, historiquement pionnière sur les questions de bioéthique, doit prendre le leadership en matière de régulation. Cela passe par :

  • Un encadrement légal des tests ADN à usage personnel, aujourd’hui encore interdits chez nous.
  • Des exigences de stockage européen des données sensibles.
  • Un contrôle renforcé de l’usage transfrontalier de nos profils génétiques.

Encadrer ne signifie pas interdire. Cela signifie protéger les citoyens – et leur rendre le contrôle sur leurs propres données.