Ce texte a été rédigé pour un podcast. Mais faute d’avoir trouver un technicien son, je vous le livre pour lecture. Pourquoi ai-je démarré la généalogie ? Quels sont les légendes familiales ? Que nous apprend l’histoire familiale ?
Qui suis-je ?
En voilà une question. Est-ce que je me définis par mon caractère, ma personnalité, mes études, mon métier, mes échecs ou mes réussites, mes espoirs, mes amours, mes amis, ma famille…
Par quoi me définissez-vous ?
Par quoi VOUS définissez-vous ?
La première impression, c’est le physique. Et comme vous ne me voyez pas, c’est mon nom de famille.
Mon nom.
Un nom… c’est une identité.
Un nom… ça dit d’où on vient.
JOVANOVIC, ça dit que mon père est des pays de l’Est. C’est un Zoreille pour les créoles.
FLORICOURT, pour moi, c’est un nom qui sonne bon le terroir français.
Avant d’être mon nom, c’est celui de ma mère. Créole… réunionnaise.
Je suis une zoréole, moitié zoreille, moitié créole.
L’île de la Réunion est déserte à sa découverte. C’est une vision du Paradis pour les explorateurs. En l’honneur du Roi de France, l’île est d’abord appelée Île Bourbon.
Après la Révolution, elle est renommée île de la Réunion.
Comme il n’y a aucun humain sur l’île, tous les réunionnais sont des descendants d’immigrés.
Mais d’où ?
De tous les pays environnants et d’Europe. Comme l’île de la Réunion est située dans l’océan indien [Bruit de vagues], sur la voie maritime entre l’Afrique, Madagascar et l’Inde, les premiers habitants à émigrer sont de toutes les couleurs de peau.
Île Bourbon ou île de la Réunion, c’est toujours une île.
Les premiers habitants sont les ancêtres de presque tous les réunionnais. On partage cette histoire commune.
Pour moi, le nom Floricourt a le sel de la vieille France.
C’est un nom de beurre salé.
L’ancêtre de ma mère, mon ancêtre, notre ancêtre… devait être breton. Et pas n’importe quel breton ! Un NOBLE… d’après ma mère. Vous aussi, vous avez peut-être un noble dans vos ancêtres. Sans le savoir…
Alors, à mes 18 ans, je décide de faire mon arbre généalogique. Pour retrouver l’origine de cet ancêtre noble..
Toujours d’après ma mère, notre ancêtre ne s’appelle pas Floricourt.
Il s’appelle DE Floricourt.
Il a vendu sa particule à la Révolution.
À l’époque, ça se fait souvent. Le noble est sans le sou. Sa dernière richesse est son nom. En face, de riches bourgeois, des descendants de petites gens. Lui a le titre et eux ont l’argent pour s’acheter un blason.
Vanité, vanité, vanité. Les prolos oublient que la préposition « de » signifie surtout un lieu d’origine. Pour De Floricourt, il peut s’agir originaire du château de Floricourt ou du village de Floricourt ou du hameau de Floricourt.
Mais, si le nom n’est pas le bon, est-ce qu’on ne s’accroche pas à des fantasmes ?
Floricourt, ou de Floricourt, ou de Pétaouchnok ?
Quelle différence ?
Ça brouille juste les pistes pour retrouver la vérité.
C’est ça la généalogie : je suis la « Sherlock Holmes » de l’histoire familiale.
Je mène des enquêtes. C’est ça qui me passionne.
Démêler le vrai du faux.
Démêler le faux du vrai.
Qu’est-ce qu’on hérite de nos ancêtres ?
Pour les de Floricourt, pas d’argent, ça c’est sûr. On est et on a toujours été pauvre chez les de Floricourt.
Mon héritage, c’est comprendre ce que j’ai hérité de leur vécu, de leur expérience, parfois sans le savoir. Si le nom de famille est si important pour moi, est-ce que ce n’est pas à cause de cette particule vendue ? La particule perdue pour tous les descendants. Comme un héritage volé.
Il m’intrigue cet ancêtre inconnu.
Je l’imagine fils cadet d’une grande famille bretonne.
Selon la tradition, l’aîné gagne le pompon : le titre, le château, les richesses. A lui la belle vie. Le cadet prend les armes et le benjamin entre dans les ordres. A l’un l’épée à l’autre la robe. Ils n’ont pas le choix. Et pour les filles, le mariage forcé.
Le fils cadet s’appelle Charles de Floricourt. Non, Charles Henri de Floricourt. Pas assez breton ça. Plutôt Loïk ou Gwendal de Floricourt. Qui sait.
Pour savoir, justement, il faut fouiller dans les archives. Mon arbre généalogique se construit rapidement : Louis Jean Baptiste, fils de Louis Julien, fils de Louis Émile…
Que de Louis, que d’or, ça sent l’aristocratie à plein nez.
Les Louis sonnant et trébuchant m’indiquent que je suis sur la bonne piste.
Reprenons : Louis Émile fils… d’Antoine. Antoine. Pas… Louis… Antoine. Juste… Antoine. Antoine Floricourt, né en 1808.
Patatras ! Pourquoi rompre cet enchaînement si rassurant de Louis ?
Louis ! C’est réconfortant de voir cette tradition de prénom, du père au fils, de génération en génération. Pourquoi ?
Mais… bien sûr ! Antoine, né en 1808 ! Forcément ! Juste après la révolution française. Il vaut mieux faire profil bas. C’est pas le moment d’afficher ses origines nobles… A moins de vouloir rencontrer Madame guillotine.
Et ce serait la dernière rencontre de sa vie.
Donc, le père d’Antoine doit se prénommer « Louis quelque chose ». Louis Philippe ?
Allez, il faut bien l’avouer. Quand on fait de la généalogie, on se prend à rêver. Et si j’avais des origines royales.
Certains généalogistes cherchent un comte, un marquis… ou un roi.
Je n’ai pas commencé ma généalogie en me disant que j’allais trouver des ancêtres criminels. Sauf si j’avais fait partie d’un clan mafieux. Mais… ils sont discrets les mafieux. Ils l’affichent pas sur leur état civil.
Alors, pourquoi cette obsession du Titre noble ? Pourquoi cette course au sang bleu ?
Pas pour la particule ou le château, perdus de longue date, mais l’espoir insensé de trouver un arbre généalogique tout fait.
Et remontant jusqu’aux Croisades, voire plus loin, pourquoi pas… Adam et Ève !
Et surtout, surtout, surtout, peut-être retrouver des portraits, des tableaux de mes ancêtres. Pouvoir afficher un trombinoscope des costumes d’époque. Si mes ancêtres sont paysans, je n’ai aucune chance d’avoir des portraits d’eux.
Avec les tableaux, je chercherai des ressemblances avec mes aïeux décédés.
Ma soeur et moi, on ne ressemble à aucun de nos parents. On ne se ressemble pas non plus. On a un air de famille, disent les gens. Oui, on a toutes les deux les yeux noisettes marrons, comme 70 % des français. Mais 70 % des français ne sont pas de ma famille.
Si on pouvait réunir tous les cousins / cousines de la Réunion, avec ma soeur, on formerait deux taches blanches. Il y a toutes les déclinaisons de couleurs de peau, de foncé à… ma soeur et moi. Merci le papa serbe.
Depuis que ma soeur vit à la Réunion, elle a le teint plus hâlé.
Donc, il ne reste plus que moi comme tâche bien blanche.
Un jour, on sonne à la porte. Qui est-ce ? J’ouvre, et le choc. Ma mère… jeune. C’est son double, ma cousine, sa nièce. La fille de son frère est son portrait craché, avec le type créole marqué. Je ne la connais pas, elle vient nous rendre visite de la Réunion.
Ca fait très bizarre. Comme d’être une enfant adoptée, mais qui ne le sait pas.
Ma soeur et moi, on ne ressemble pas non plus à aucun de nos grands parents. Pas même à mon grand père Floricourt, mort quand j’avais un mois. Je n’ai qu’une seule photo de lui. Aucune ressemblance.
Et si je ressemblais à un de mes aïeux bretons. Qui sait ?
Je le cherche ce de Floricourt.
Quand Antoine Floricourt s’est marié, en 1836, il est écrit qu’il est le « fils naturel de Marie Elisabeth ».
Première embûche sur mon chemin de gloire. Et encore un choc.
Antoine Floricourt n’est pas né d’un mariage légitime. C’est pas que ce soit important pour moi. Mais à l’époque, c’est très important pour eux ! Le mariage à l’église est le passage obligé. Le mariage, d’abord, l’enfant, après. Et là, aucun mariage, juste l’enfant. Le scandale.
Mon chemin s’assombrit avec ce noble qui fait un enfant sans être marié. Que s’est-il passé ?
Je ne perds pas espoir. Il en faut plus pour décourager une détective généalogiste. Il me faut l’acte de naissance d’Antoine Floricourt.
Le père n’a pas reconnu l’enfant officiellement, mais il a pu être présent comme témoin, ou être cité comme absent car en mer, soldat en garnison en Inde ou à l’Isle de France, la future Ile Maurice.
Pour moi, c’est pas papaoutai, papaoutai, mais pépéoutai, pépéoutai.
Et là, patatras. Tout fout le camp. Je ne trouve pas l’acte de naissance d’Antoine Floricourt.
Et pourtant, Antoine Floricourt l’a présenté à son mariage. Il est né le 8 janvier 1808 à Sainte Suzanne, ile Bourbon.
Je cherche, cherche, cherche… sans rien trouver. Parce que je cherche, cherche, cherche… dans le mauvais registre.
Je le découvre grâce à Hélène Thazard, la présidente du Cercle généalogique de Bourbon. Je lui écris pour lui demander de l’aide. A l’époque, pas d’email et encore moins d’internet. J’envoie mon courrier par la poste. Et je reçois rapidement une copie du précieux acte en retour. Enfin, rapidement, selon les délais de la Poste de l’époque.
Je reçois une belle lettre sur un merveilleux papier en tête du cercle généalogique de l’île Bourbon.
Un jour, moi aussi j’aurai mon papier en tête aux armes de ma famille de Floricourt.
En 1808, neuf ans après la Révolution française et la Déclaration universelle des droits de l’homme, neuf ans après son article 1 : « Tout homme nait libre et égal en droit », il aurait fallu ajouter : « sauf à l’île Bourbon ».
A l’île Bourbon, deux registres d’état civil cohabitent.
Je cherche la naissance d’Antoine Floricourt dans le registre des « Blancs », le mauvais registre.
Sa naissance est déclarée dans le registres des « noirs libres ».
Et ça, ça veut dire que Marie Elisabeth est noire.
Enfin, ça ne veut pas dire que Marie Elisabeth est noire, ni même qu’elle est d’origine africaine. Marie Elisabeth peut avoir la peau BLANCHE… et être inscrite sur le registre des… noirs.
Vous êtes perdu ? Je comprends. Moi aussi j’étais perdue quand j’ai commencé ma généalogie.
L’idée que j’avais de l’esclavage, c’ était la vision des Antilles ou des Etats-Unis. La pire vision de l’homme asservissant un autre homme ou femme. Donc, le monde était noir ou blanc, d’un côté l’opprimé noir et de l’autre l’oppresseur blanc.
Et ça s’est passé comme ça aussi à la Réunion. Pour UNE PARTIE des esclaves et des propriétaires d’esclaves.
Mais rien à voir pour LA MAJORITÉ. Et ça, je le découvre dans les actes d’état civil.
J’aurais pu m’en douter. Si vous allez sur un marché à la Réunion ou aux Antilles, vous ne verrez pas la même population. Aux Antilles, on voit bien les descendants des esclaves et les descendants des esclavagistes, par leur couleur de peau.
Même 175 ans après la fin de l’esclavage.
Pourtant, il y a eu le temps de se mélanger et de faire au moins 4 générations d’enfants. Mais non. C’est pas la majorité visible.
A la Réunion, c’est le métissage, il y a de tout et de toutes les couleurs de peau, du plus clair au plus foncé. Ce n’est pas étonnant d’avoir une fille brune, dont la peau vire au brun foncé, un fils blond aux yeux bleus et peau d’albâtre et une troisième fille châtain clair. Hey, les Hubert, vous vous reconnaissez ?
Et ça, ça fait partie de l’histoire très particulière de l’ile Bourbon, unique au monde.
Les premiers habitants, on les appelle les primo arrivants, nos Adam et Eve de l’île Bourbon, étaient des couples franco malgaches.
Ce sont des soldats basés à Madagascar. Ils se sont mariés avec des femmes malgaches. A l’époque, la Compagnie des Indes incitent à ces mariages. C’est une façon de créer des liens et de s’intégrer avec la population.
Puis, il y a eu une révolte des malgaches, qui ont zigouillé tous les soldats. On ne sait pas très bien pourquoi. Il y a une histoire comme quoi c’est à cause des femmes. Toujours les femmes. En tout cas, les survivants s’enfuient en bateau. Fini Madagascar. Et ces soldats survivants avec leurs femmes malgaches, et d’autres membres de la famille malgaches, atterrissent sur l’île Bourbon.
Quasiment tous les réunionnais ont un des ces primo arrivants, de ces couples franco malgaches, comme ancêtre par un ou plusieurs de ses descendants.
Le 4 août 1668, la première enfant née et baptisée sur l’île s’appelle Anne Mousse, fille de Jean Mousse et Anne Caze. Et c’est une malgache, comme ses parents, tous les deux malgaches. Enfin non, c’est la première réunionnaise née de parents malgaches.
Ensuite, ce sont des pirates de toutes nationalités qui s’installent. Ils sont bien accueillis. Hey, ils ont du pognon les brigands. Du moment qu’ils se repentent. « Oui, je ne recommencerai plus à être pirate. De toute manière, j’ai une jambe en bois, de l’arthrose, et je suis plus en état. » Bref, c’est la retraite pour eux.
Les anciens pirates cherchent des femmes. Bobonne à la maison, des enfants, et puis devenir cultivateur. La reconversion, quoi.
Sauf que des femmes, y’en a pas des masses : les filles des franco malgaches et les esclaves. Et les pirates ont un esprit libertaire. Ils ne pratiquent pas l’esclavagisme. Bon, à l’occasion, si ils capturent un bateau plein d’esclaves, ils le revendent, pour l’argent. Ca, c’est l’appât du gain, mais ça ne fait pas partie de leur mentalité.
La Compagnie des Indes essaye d’envoyer des orphelines bien blanches.
Ils l’ont déjà fait pour le Québec. Les filles sont recrutées à Paris. 36 orphelines embarquent, et 5 seulement débarquent.
Quelque unes sont mortes durant le voyage, la majorité s’est mariée avec un soldat présent sur le bateau. C’est bien connu, il ne faut pas de femme sur un bateau, ça crée la zizanie. Le voyage dure 6 mois ! Le capitaine n’a pas voulu avoir de mutinerie façon Bounty, il marrie tous ceux qui le demandent. Ils sont pressés de se marier les matelots. Et puis les orphelines, elles ne savent pas ce qui les attend sur l’île. Ca fait bien la fête sur le bateau, nuit de noces pour un nouveau couple toutes les semaines.
Donc, au final 5 femmes qui débarquent pour 5 fois plus d’hommes, le compte n’y est pas.
Alors, le métissage s’installe très vite.
Les hommes achètent une esclave, et l’esclave devient son épouse. Alors, pas officiellement, ou pas tout de suite. Ils ont plein d’enfants. Puis, à un moment, le propriétaire affranchit sa concubine et ses enfants. En attendant : il peut y avoir des esclaves à la peau blanche.
Et y a aussi les mariages avec les descendants des premiers couples franco malgaches. A 18 ans, Anne Mousse, la première réunionnaise, malgache de père et mère, épouse Noël TESSIER, originaire du Morbihan. Ils ont 8 enfants, dont 5 filles. 5 filles à marier. Et ça continue comme ça. Les descendants ont la peau foncée mais sont considérés comme des Blancs.
En fait, à la Réunion, être catalogué blanc ou noir correspond au statut social.
Si vous êtes un esclave, un ancien esclave ou un enfant d’anciens esclaves, vous êtes noirs.
Si vous êtes originaire d’un pays d’Europe, ou enfant d’un couple mixte Europe et toute autre origine, vous êtes blanc.
Mais si vous êtes noir, et que vous épousez un blanc, vous devenez blanc.
Ben oui, les actes d’état civil sont enregistrés dans le registre des « Blancs ».
Et une fois affranchi, l’ancien esclave a lui même des esclaves.
Alors, vous imaginez bien. L’esclavage à la Réunion n’est pas le même qu’aux Antilles. Parce que les relations entre hommes européens et esclaves n’ont jamais cessé. Donc, un ancien esclave affranchi de peau noire peut être le « propriétaire » de la concubine métis et des enfants blancs de peau de son voisin. Vous imaginez la scène ?
Dans ces conditions, comment distinguer les esclaves des non esclaves ? Par les chaussures ! Pas de chaussure, esclave, des chaussures, pas esclave. Le premier achat que font les affranchis, c’est ces instruments de torture, sous le soleil de l’île.
Etre libre a un prix.
Et ça, je le découvre dans les actes d’état civil.
J’en ai plein d’histoires rigolotes à raconter sur le sujet.
Mais pour l’instant, je cherche toujours mon Louis de Floricourt, le père d’Antoine dans son acte de naissance.
Sa mère Marie Elisabeth fait la déclaration de naissance accompagnée d’un dénommé Paulin, sans nom de famille, et d’un certain Casimir Lorette. Aucune effluve aristocratique dans ces noms. Et aucune signature, ils sont tous illettrés.
Marie Elisabeth, fille naturelle de Marie Honorine Séverine est née esclave, ou plutôt a subi l’esclavage de par sa naissance.
Ben oui, c’est important les mots. On ne nait pas esclave, on nait libre. On subit l’esclavage imposé par un autre être humain.
Marie Elisabeth n’a pas le droit à un nom de famille, privilège des « Blancs ».
Elle est affranchie avec sa mère et ses deux soeurs par Eugène Calix Pantaléon Welment en 1789. Je découvrirai plus tard que ce Welment est aussi son père. Et ce Welment est le descendant d’un ancien pirate originaire d’Allemagne. Guilbert Wilman, mon ancêtre de Lunebourg.
Mais à l’époque, je me focalise sur les de Floricourt, pas sur les pirates.
J’empoigne ma casquette de détective fouillant dans les archives à la recherche d’indices.
Des Floricourt, j’en trouve à la pelle.
Mon ancêtre Antoine Floricourt a fricoté avec sa future épouse bien avant leur mariage. A 20 ans, leur premier enfant voit le jour, Marie Amélia Floricourt. Deux ans plus tard, Charles Ulger Floricourt vient au monde.
Hum, le portrait craché de son père.
Il fait des enfants sans être marié. Les enfants n’ont même pas été déclarés à la naissance. Je découvre leur existence lorsqu’ils les légitiment, sur l’acte de mariage.
Hum, tel père tel fils.
A l’époque, il est d’usage de donner le prénom des grands pères ou des parrains au nouveau né. Je cherche donc des indices dans les prénoms des enfants d’Antoine Floricourt. Sur leurs onze enfants, cinq sont de sexe masculins : Charles Ulger, Antoine, Louis Léon, Louis Emile, mon ancêtre, et Jean Baptiste Alexandre.
Donc, le père d’Antoine Floricourt doit se prénommer Louis Charles de Floricourt ! Ou Louis Léon de Floricourt. Ou Louis Charles Léon Emile Jean Baptiste Alexandre de Floricourt. Ils ont du souffle à l’époque, et aucun document administratif à remplir. Ils peuvent se lâcher sur les hommages familiaux.
A notre époque, on opte plutôt pour Théo ou Léa, ou Théa et Léo, on fait court pour la saisie sur Clavier. Elon Musk a fait encore plus fort avec X ! Dans cent ans, nos descendants n’auront que des des initiales.
« Bonjour, moi c’est N JF ».
Mais aucun Louis Charles de Floricourt ou n’importe quel Floricourt dans les actes d’état civil. Le géniteur d’Antoine est absent. Il n’a laissé aucune trace.
C’est peut-être un marin de passage ? Une femme dans chaque port, et combien d’enfants ? Dont mon ancêtre.
Et pourtant, et pourtant, il est présent pour l’éducation de son fils. Marie Elisabeth est illettrée. Mais Antoine Floricourt sait lire et écrire. Sur les actes d’état civil, je découvre son élégante signature.
Plus je cherche, et moins je comprends. Alors, j’opte pour une autre méthode. Je cherche dans les pages blanches.
C’est dans les années 80. On a les annuaires des numéros de téléphone, et des adresses. Je regarde les Floricourt de Bretagne. Et j’envoie un joli courrier pour leurs demander leurs origines. Mais je ne reçois que des réponses négatives, toujours par courrier. C’est les années 80. Internet n’existe pas. Je sais, c’est dur à imaginer.
Un Floricourt de Bretagne me répond que sa famille est originaire de Normandie. Un châtelain breton ou normand, c’est toujours un châtelain.
Je trouve même un Floricourt à la Guadeloupe. Si mon de Floricourt est marin, il a pu laisser d’autres enfants ailleurs dans les îles. Même réponse négative d’Ange Floricourt qui ne connait pas ses origines.
J’écris à l’Evéché. J’espère qu’ils ont conservé des archives. Hélas, ils ne peuvent pas m’aider. Mais ils me signalent qu’il existe une ruelle Floricourt à Saint Denis de la Réunion.
Ca y est, je suis aussi atteinte par la vanité, j’aurais voulu un boulevard Floricourt. Mais une ruelle, c’est déjà pas mal. Ca doit être proportionnel au temps passé sur l’île.
Hélas, M. Raux, le maire adjoint de Saint Denis, ne peut pas m’indiquer l’origine du nom de la Ruelle. Il m’envoie un plan de Saint Denis du 19e siècle. La ruelle s’appelait Impasse du Camp Gener et a changé de nom.
Mais quand ? Pourquoi ? Nul ne le sait.
Cela fait plus de 8 ans que je cherche ce Floricourt. ET ça y est, je suis devenue une « serial généalogiste ».
Une « serial généalogiste », c’est celle qui a le virus de la découverte. Je ne vous parle que des Floricourt, mais je ne m’arrête pas à lui, je cherche tous mes ancêtres.
Les Nourry, du côté de la grand mère.
Les Grondin, du côté du grand père.
J’ai des classeurs entiers de photocopies d’actes, qui prennent de la place, mais que j’ai encore conservé. J’en ai dépensé des sous en photocopies. Nourry, Grondin, c’est le nom des grands parents les plus proches, mais il y a aussi les Nalem, Desiles, Dugain, Hoareau, Payet, Loret, Dennemont, Boyer, Cerveau, Vidot, Vincendo… je m’arrête là. Il y en a trop.
Et je ne m’arrête pas à ma famille, je cherche la famille des beaux frères et des belles soeurs, des témoins cités dans les actes, je reconstitue la sphère amicale et familiale de mes ancêtres.
Je passe une partie de mes vacances aux Archives nationales de Paris et aux Archives nationales d’Outre Mer à Aix en Provence. Et quand je vais voir ma soeur, à la Réunion, je passe mes journées aux Archives de Sainte Clotilde. Ma soeur ne comprend pas. Il y a le soleil, la plage, la montagne, pleins d’activités sympa à faire, et je fais 10 000 km en avion pour m’enfermer dans la salle climatisée des archives à feuilleter des documents poussiéreux. La salle climatisée, c’est important pour préserver les précieux registres.
Ma soeur ne comprend pas. Mais dans la salle des archives, je retrouve d’autres « serial généalogistes » qui eux comprennent. On discute, on partage nos impasses, nos découvertes, nos surprises.
Et on est tous cousins !
Dès qu’on compare nos arbres généalogiques, on trouve une ou plusieurs connexions. C’est une île !
Je me suis focalisée sur les actes d’état civil, mais ils existent d’autres sources d’information. Il y a les recensements. Un jour, je pense, enfin, à les regarder. Et là, je retrouve ma Marie Elisabeth et tous ses enfants.
Parce que Marie Elisabeth a eu sept enfants. Qui portent tous des noms de famille différents ! Humm ! Mon ancêtre est une… non, je ne peux pas le dire. Non, pas possible. C’est quoi le beans !
Je reprends. Marie Elisabeth a eu sept enfants qui s’appellent Floricourt, puisque le noble de Floricourt est notre ancêtre.
Si il y a sept noms de famille différents, c’est qu’il y a sept pères différents. Ca fait beaucoup, quand même. Deux, trois, je veux bien. Mais sept ! Enfin, sept enfants en 1808.
Au total, Marie Elisabeth a eu neuf enfants avec neuf noms de famille différents.
Sur le recensement de 1808, Marie Elisabeth a 34 ans. Elle possède 20 esclaves. Elle déclare ses enfants : Louis Géréon, Gertrude Mélanie, Jean Baptiste Dumélon, Marie Antoinette, Gertrude Héloïse, Louis Elphège et mon ancêtre Antoine Floricourt, qui vient de naître.
Sa fille Marie Antoinette se fait appeler Louise Séraphine. Je comprends. Marie Antoinette, c’est lourd comme nom pour une fille de couleurs.
Et pourquoi les filles ont-elles des prénoms comme nom de famille ? Mélanie, Antoinette, Héloïse ?
Et, il y a un autre nom, un inconnu, cité dans le recensement : Antoine Jean Baptiste Maunier l’Etang.
Antoine… hum hum hum Jean Baptiste… hum hum hum. Marie Elisabeth a deux enfants prénommés Antoine et Jean Baptiste.
Se peut-il que Antoine Jean Baptiste Maunier l’Etang soit le père de tous les enfants ? Mais alors, il n’y a aucun de Floricourt, ni même Floricourt tout court. Parce que Jean Baptiste DE Maunier l’Etang, ça le fait pas du tout.
Mais d’abord, c’est qui ce Maunier l’Etang.
Ben d’abord, c’est un Maunier tout court. Il a ajouté l’Etang à son nom. Parce qu’il habite à côté d’un Etang. Logique. C’est le fils de Jean Baptiste et le petit fils d’Antoine, né à Saint Zacharie dans le Var.
Je vous l’ai dit : la tradition des prénoms. Antoine Jean Baptiste fils de Jean Baptiste et petit fils d’Antoine.
Et Maunier ? Maunier, c’est une déformation de meunier. Les premiers noms ont parfois été donnés en fonction du métier. Le meunier, c’est celui qui fabrique la farine. Y’avait des aristos qui fabriquaient de la farine ? C’est utile la farine. Sans farine, pas de pain. Et on a vu pendant le Covid et le confinement que le pain, c’est la vie. Alors, si il y a bien des métiers qui méritent d’être anoblis, c’est meunier et boulanger, non ?
Je suis remontée jusqu’à Honoré Maunier, né en 1617, toujours à Saint Zacharie dans le Var. Nul titre de noblesse ou de charge officielle, ils devaient être paysans.
Aucune chance d’avoir un portrait de famille.
Je flaire la vérité, mais je n’y crois pas encore.
Alors, je fonce fouiller dans les archives notariales. Parce que tout passe devant le notaire. Dès qu’on a un bout de terrain, une vente, une dette… ça passe devant le notaire. Et c’est une mine de renseignements. Mais c’est comme la mine, il faut beaucoup creuser pour trouver une pépite. J’y passe des heures, des journées pour rien trouver et soudain, miracle, un acte inattendu.
En 1792, la majorité civile est encore à 25 ans. Et je découvre que Marie Elisabeth est émancipée par sa mère à 18 ans. Elle a déjà deux enfants. Je vous lis un extrait de cet acte.
« Honorine demeurant au quartier Saint André, considère que sa fille Marie Elisabeth créole libre est en état par son travail de gagner sa vie et de se faire subsister sans être à la charge de sa mère, la dite Honorine a donné présentement son consentement et agrément à la dite Marie Elisabeth sa fille, de se retirer où bon lui semblera, acquérir, vendre et accepter toutes donations qui pourront lui être faites ainsi qu’à ses enfants, lui promettant avoir pour agréable tout ce que ladite Marie Elisabeth sa fille pourra faire tant pour son intérêt particulier que pour celui de ses enfants s’en rapportant entièrement à sa ?? »
À sa… je ne sais pas quoi. J’ai pas réussi à déchiffrer le dernier mot.
Ben, elles ont tout compris la mère et la fille.
Ou est-ce que c’est Antoine Maunier qui leurs a dit de faire cette émancipation ?
Les années suivantes, Marie Elisabeth peut accepter les donations et ventes d’ Antoine Maunier L’Etang.
Antoine cède toutes ses possessions à Marie Elisabeth, et finit par devenir son locataire. Son locataire officiel, et son conjoint officieux. Ils ne sont pas mariés, mai s ils ont vécu ensemble toute leur vie. Et que dit-ton ? Il n’y a pas d’amour, il n’y a que des preuves d’amour ?
Quelle plus belle preuve d’amour que de mettre à l’abri matériellement sa conjointe et ses enfants, quitte à ne plus rien avoir à son nom.
Car si les liaisons entre anciens esclaves sont fréquentes et tolérées, elles doivent rester discrètes. Officiellement discrètes. J’imagine mal tous les voisins ignorer qu’Antoine et Marie Elisabeth vivent ensemble avec leurs neuf enfants.
Car depuis les primo arrivants, la loi a changé. Le code noir a été promulgué. Le code noir, c’est le code pour les esclaves et les affranchis. Il essaye d’empêcher les relations entre les deux et avec les « Blancs », ou les autoriser dans des conditions strictes..
Mais à la Réunion, il est bien trop tard.
Et dans les actes notariés, je découvre d’autres histoires, comme la mort de Louis Géréon. Le frère aîné d’Antoine Floricourt, à seulement 29 ans. Et Marie Elisabeth, sa mère, signe une obligation devant le notaire. Elle reconnaît devoir rembourser 655 livres à Esther Picard qui lui ont été prêtés : je cite l’acte : « pour l’aider à subvenir tant aux frais funéraires qu’à ceux occasionnés par la dernière maladie du dit feu Louis Géréon son fils. »
Antoine Maunier est mort 5 ans auparavant, à 64 ans. Marie Elisabeth en a 45, et elle vient d’enterrer son premier enfant, son fils aîné, son fils Louis.
Le fameux prénom Louis dont je cherchais l’origine chez les de Floricourt, et qui aura marqué le petit Antoine Floricourt, âgé de 11 ans seulement. Ce prénom qu’il donnera à trois de ses enfants, deux Louis et une Louise.
Oui, c’est bien de l’or.
Plus tard, je fais la connaissance de Pierre Louis Laude, un autre « serial généalogiste » de la Réunion. Le virus, c’est son père qui lui a transmis avec des décennies de recherches à compléter. Et c’est un descendant d’une soeur de Marie Elisabeth. Et comme tout « serial généalogiste », il a fait la généalogie de la soeur de son ancêtre.
Il me confirme qu’Antoine Jean Baptiste Maunier L’Etang est bien le père de tous les enfants de Marie Elisabeth.
Mais alors, Floricourt, ça vient d’où ?
Marie Elisabeth a donné deux prénoms à ses enfants. Et oui, Floricourt est un ancien prénom français complètement oublié, mais connu à l’époque car utilisé dans un opéra mélodrame nommé Zanoubé et Floricourt. Les noms des autres enfants d’Antoine Maunier l’Etang et de Marie Elisabeth sont aussi des prénoms issus de vaudevilles ou pièces de théâtre : Géréon, Elphège, Fayel, Darseuil…
Des prénoms en guise de nom pour les enfants d’une ancienne esclave, qui n’a pas le droit de donner le nom du vrai père.
Mais quand est-ce que la légende familiale du noble de Floricourt a démarré ?
Pendant longtemps, les descendants d’esclaves ont tenté d’effacer cette mémoire. Quel ancêtre aura voulu se créer une légende familiale plus du terroir français ? Je ne sais pas et ne le saurai jamais. Et qu’importe.
Je découvre avec les « serial généalogistes » que les fausses légendes familiales, c’est fréquent.
Adieu veau, vache, cochon, château en Bretagne et galerie de portraits.
Grâce à cette légende, je suis tombée dans la généalogie comme Obélix dans le chaudron de potion magique. J’ai rencontré mes ancêtres et leurs histoires de vies.
Je suis fière d’eux.
Vous, mes ancêtres, je suis fière de vous. Quelles que soient vos origines, votre sexe, votre religion, vous toutes et tous mes ancêtres, dont les joies, les peines et les souffrances ont fait de moi qui je suis. Merci.
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